Midas
Attristé par la disparition tragique de son fils, Apollon chercha une consolation dans la musique. Se consacrant avec passion à la pratique de la lyre, un instrument analogue à la guitare et très prisé chez les Grecs, il ne tarda pas à en devenir un remarquable virtuose. La modestie n’étant pas son fort, il se considéra dès lors, non sans raison, comme le meilleur joueur de lyre de tous les pays et de tous les temps.
Une occasion s’offre bientôt de faire admirer son talent : un concours international de musique est organisé, dans une ville de Grèce, par le roi de cette ville, un certain Midas. Ne doutant pas un instant d’en être le vainqueur, Apollon s’y présente sous un déguisement et sous un faux nom. Lorsque arrive son tour, il joue sur sa lyre une sonate de sa composition avec un tel talent que l’auditoire, subjugué, l’acclame. Mais c’était le roi Midas qui présidait le concours et qui décernait les prix. Or il avait, parmi les concurrents, un protégé nommé Marsyas, à qui il avait promis d’avance de donner le premier prix. Il faut dire que ce Marsyas n’était pas, lui non plus, dépourvu de talent musical, et qu’en outre il était le seul à posséder un instrument tout à fait nouveau à l’époque, une flûte en or qu’il avait un jour mystérieusement trouvée dans un champ. Certes, il n’était pas un virtuose de la force d’Apollon, mais il avait l’avantage d’être ami intime du roi Midas, juge-arbitre du concours. Contre toute justice, Midas déclare donc qu’Apollon (qu’il n’a évidemment pas reconnu) a fait quelques fausses notes, et que le premier prix revient à Marsyas. Apollon se retire ulcéré et bien décidé à se venger de Midas.
Une idée amusante lui vient : pour punir Midas d’avoir, en matière musicale, une si mauvaise oreille, il lui fait pousser sur la tête une paire d’oreilles d’âne. Pour cacher son infortune, Midas décide alors, comme certains acteurs contemporains désireux de dissimuler leur calvitie, de toujours porter un chapeau. Ainsi, personne ne verra jamais ses oreilles d’âne. Personne ? Si, il y a quelqu’un à qui il ne peut les cacher : son coiffeur. Il fait donc jurer à celui-ci, sous la menace des pires châtiments, de ne pas trahir son secret et de n’en parler à personne, absolument personne. Le coiffeur promet et, pendant quelque temps, tient son serment. Mais ce secret l’étouffait, il fallait à tout prix qu’il le confiât à quelqu’un ou du moins à quelque chose qui ne le répéterait pas. Faisant un trou dans la terre, le coiffeur se penche et murmure, au fond du trou :
— Midas, le roi Midas, a des oreilles d’âne.
Puis il rebouche précipitamment le trou et rentre chez lui, soulagé et persuadé que le secret est bien enterré.
Quelques semaines plus tard, des roseaux poussent sur le trou et, agités par le vent, font entendre à tous les passants le secret que le coiffeur avait cru ensevelir à tout jamais. Seulement, comme les roseaux ont un léger accent, intermédiaire entre celui des Auvergnats et celui des Martiniquais, cela donnait : « Midache, le oi Midache, a des jœilles d’âne. » Il n’empêche que tout le monde comprenait fort bien.
Honteux et confus, Midas, qui, dans l’intervalle, avait appris la cause de son malheur et l’identité de son persécuteur, fait intervenir toutes ses relations humaines et divines pour obtenir le pardon d’Apollon. Celui-ci accepte de lui restituer ses oreilles d’origine et même, bon prince, propose à Midas, en guise de dédommagement, de lui accorder une faveur de son choix. Midas, qui ne voyait pas plus loin que le bout de son nez, lequel, malheureusement pour lui, était moins long que ses oreilles, demande à Apollon « le pouvoir de changer en or tous les objets qu’il touchera ».
— C’est d’accord, lui répond Apollon, riant déjà sous cape.
Midas n’en croyait pas ses nouvelles oreilles. Pour s’assurer qu’il n’était pas victime d’une supercherie, il tente une première expérience en prenant entre ses doigts quelques sous de bronze qu’il avait dans sa poche ; ils deviennent aussitôt des pièces d’or fin. Il descend alors dans ses écuries, ramasse quelques crottins de cheval que les palefreniers n’avaient pas encore enlevés, et constate avec ravissement qu’ils se transforment aussi en lingots. La perspective de devenir, quand il le voudrait, l’homme le plus riche du monde met Midas en appétit. Il demande à son cuisinier de lui préparer son plat préféré, des choux à la crème. Mais, dans ce temps-là, on mangeait avec les doigts, même chez les rois. Midas n’a pas plus tôt saisi un chou, pour le porter à sa bouche, que la pâte onctueuse, la crème pâtissière et le caramel croustillant se transforment eux aussi en or, métal assurément précieux et inaltérable, mais éminemment incomestible. Voici donc le pauvre Midas condamné, par sa propre avidité, à mourir de faim sur un tas d’or.
Une fois de plus, il lui fallut implorer le pardon d’Apollon, qui voulut bien le lui accorder en lui conseillant d’aller se laver dans un fleuve magique, appelé le Pactole. Il paraît que, depuis que Midas s’y est baigné, le Pactole charrie toujours dans ses eaux des paillettes d’or.